dana hilliot<p>Chien qui parle (Pynchon)</p><p>“Un petit groupe bruyant d’Élégants, de Gandins ou de Lunariens, – il est difficile de se prononcer là-dessus, – s’est frayé un chemin dans la ruelle et arrive à portée de voix. Derrière plusieurs carreaux on distingue une bougie qui progresse. Des valets d’écurie se retournent, renfrognés, sur des paillasses. Des porte-lanternes en maraude scrutent l’intérieur, pour voir s’ils peuvent jeter quelque lumière à propos.<br>De sa tête, le Chien pousse la jambe de Mason.<br>« Nous n’aurons peut-être pas d’autre occasion de converser, même à brûle-pourpoint.<br>– Je dois m’assurer d’une chose, murmure Mason d’une voix rauque, sur le ton d’un amant tourmenté par le doute. As-tu une âme, enfin, es-tu un Esprit humain, réincarné en chien ? »<br>Le C.S.A. cligne de l’œil, frissonne, hoche la tête d’un air résigné.<br>« Vous n’êtes pas le premier à poser la question. Des voyageurs rentrés des Archipels du Levant évoquent certaines Énigmes religieuses connues sous le nom de Koan, dont la plus connue sans doute concerne justement votre question, – à savoir si un chien a la nature du Bouddha divin. Une réponse apportée par un certain Maître très-sage est : “Mu !”<br>– “Mu”, répète Mason, songeur.<br>– Celui qui cherche doit de toute nécessité méditer sur le Koan jusqu’à se retrouver dans un état de Folie sacrée, – ce que je vous recommande en particulier. Mais de grâce n’allez point consulter le Chien Savant Anglais si vous aspirez à quelque Réconfort religieux. Il se peut que je sois extraordinaire, mais je ne suis en rien surnaturel. Nous sommes à l’Époque des Lumières, rrrhuf ? Il y a toujours une explication à tout, et les chiens qui parlent n’existent pas, – les chiens qui parlent sont comme les Dragons et les Licornes. En revanche, il existe des réserves qui permettent de survivre dans un monde moins prodigieux.<br>« Je m’explique. – Jadis, la seule raison pour laquelle les hommes gardaient les chiens, c’était pour se nourrir. Ayant remarqué que parmi les hommes aucun Crime n’était aussi abhorré que celui qui consistait à manger la Chair d’un autre homme, le chien apprit rapidement à se comporter de la façon la plus humaine qui soit, – et à transmettre cette Faculté à ses chiots. Aussi savons-nous à présent comment susciter en vous, les hommes, au jour le jour, au moins assez de compassion pour survivre une journée de plus. Néanmoins, si policées soient-elles, nos Existences ne sont jamais sans risque, – nous allons telles des Shéhérazade qui agitent la queue, toujours à un pas de la terrible Palme, repoussant chaque Nuit les lames de nos maîtres en leur rapportant les Récits de leur humanité. Je ne suis qu’une expression extrême de cette Évolution…<br>– Non mais, un chien empalmé, quel galimatias, commente l’un des Lunariens. Vraiment, beaucoup trop sensible, non, sans blague, chien ? A palme ? Les Êtres civilisés ont mieux à faire que de baver après un chien empalmé ou je ne sais quoi, n’est-ce pas Algernon ?<br>– Pourriez-vous, je vous prie, demande le Terrier, la tête penchée d’un air contrarié, cesser de répéter cela ? Moi, je ne dis pas des choses comme “Macaronis à l’italienne”, ce me semble, ou “Fricassée de fats”…<br>– Dis donc, sale petite bestiole…<br>– Grrrr ! et votre usage délibéré de “baver”, Monsieur, est vil. »<br>Le Lunarien porte la main à son couteau.<br>« Peut-être pouvons-nous régler l’affaire sur-le-champ, Monsieur.<br>– Derek ! Tu parles à un chien ?<br>– Bien que votre arme me mette dans une posture quelque peu désavantageuse, fait remarquer le Chien, pour être juste, je me dois de mentionner ma récente Aversion pour l’Eau. Laquelle, vous ne l’ignorez point, marque le début de l’Hydrophobie. Oui ! La fameuse H. Et quand je réussirais à esquiver votre lame et à m’adonner à quelques plaisantes morsures, allant jusqu’à entamer votre Cuir, – ma foi, vous aurez vitement contracté la même chose, non ? »<br>Il se crée aussitôt autour du Chien un cercle d’Absence, d’un rayon d’une brasse environ, dont les deux Astronomes se souviendront plus tard comme étant d’une forme remarquablement régulière.<br>« Gentil, le chien !</p><p>(Thomas Pynchon, Mason & Dixon, Ch.3, traduction Claro & Brice Matthieussent)<br>Le fameux et cultissime chien qui parle (et dont les cousins ne sont pas rares dans l’œuvre de Pynchon, voir par exemple dans Against the Day (Contre-jour))</p><p>Pour tous les fans de Pynchon (mais s'ils sont fans, ils le savent déjà !), il existe un fabuleux WIKI décortiquant les plus grands livres de l'auteur. Par exemple pour Mason & Dixon :<br><a href="https://masondixon.pynchonwiki.com/wiki/index.php?title=Main_Page" rel="nofollow noopener noreferrer" translate="no" target="_blank"><span class="invisible">https://</span><span class="ellipsis">masondixon.pynchonwiki.com/wik</span><span class="invisible">i/index.php?title=Main_Page</span></a><br>et pour Against the day :</p><p><a href="https://against-the-day.pynchonwiki.com/wiki/index.php?title=Main_Page" rel="nofollow noopener noreferrer" translate="no" target="_blank"><span class="invisible">https://</span><span class="ellipsis">against-the-day.pynchonwiki.co</span><span class="invisible">m/wiki/index.php?title=Main_Page</span></a></p><p><a href="https://climatejustice.social/tags/Pynchon" class="mention hashtag" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">#<span>Pynchon</span></a> <a href="https://climatejustice.social/tags/DogsTalking" class="mention hashtag" rel="nofollow noopener noreferrer" target="_blank">#<span>DogsTalking</span></a></p>